Le perturbateur
Texte : V!
Illustration : Cortez
Cinq copains, posés au bord d’un chemin en rase campagne.
Nous sommes détendus, tranquilles, peinards. Après une semaine de boulot à se faire humilier sans broncher, nous faisons semblant d’être libres, sans contrainte.
Une bière à la main, symbole de notre pseudo indépendance, mes potes et moi, nous écoutons de la musique de m…., pardon, de la soupe populaire à « donf » : rien qui ne peut remuer nos consciences d’honnêtes citoyens.
Nous faisons même semblant de fumer de l’herbe prohibée. Un copain à nous a eu l’idée saugrenue de faire sécher de l’ortie pour la mélanger au tabac. Je ne sais plus trop quelles vertus ça peut avoir, mais ça fait « bio » à mort.
Le type est arrivé de nulle part, en boitant, l’air de rien, un CD à la main : « Tchô les gars ! ».
Nous restons stupéfaits et contents aussi qu’il nous arrive enfin quelque chose d’inattendu, à nous, les insoumis du samedi après-midi.
Face à notre silence et nos regards mi- méfiants mi- ahuris, l’homme étrange se penche, prend une bière dans le pack éventré qui repose à l’ombre de l’arbre, et décapsule la bibine d’un geste rapide et précis à l’aide de son briquet. Le drôle de type se met à parler d’un ton très calme, rassurant et apaisant. Nous nous approchons de l’hurluberlu pour être complètement sûrs de comprendre ce qu’il nous raconte.
Tel le messie, il annonce :
« Les gars, faut pas déconner ! Vous voyez bien que vous écoutez de la musique de merde. Je suis venu à vous pour élargir votre horizon musical. Je viens vous sauver de la vulgarité ambiante. Vous serez des hommes nouveaux. »
En deux temps trois mouvements, « l’échappé de l’asile » monte dans la voiture, coupe la radio et insère son CD (en même temps, il renverse un peu de sa bibine sur le siège passager de ma bagnole, le con !).
La musique démarre, le drôle de bonhomme se tient devant nous, jambes écartées, mains sur les hanches, et observe nos réactions.
Comment expliquer ce que nous percevons… Nos oreilles n’étaient pas préparées, elles se sont rétractées de frayeur.
L’ouverture du concerto infernal c’est fait à partir d’une suite de notes improbables, sorties d’un instrument à vent qui s’est levé du pied gauche. Ensuite, toutes sortes de voix étranges se sont rajoutées au délire initial. Des instruments à cordes énervés et à percussion affolés ont fait une entrée fracassante, accentuant un peu plus l’impression de cacophonie.
Ça grince, ça couine, ça crisse, ça hurle… c’est hypnotique et angoissant. Un de nous retrouve rapidement ses esprits, se jette sur l’autoradio et met un terme à la torture. Le farfelu a disparu. Il a pourri l’ambiance.
Nous étions partagés sur les intentions de l’intrus : le dingue a voulu nous stimuler, nous inviter à quitter notre confort lâche pour abattre les murs de la prison où nous nous complaisons, ou c’est simplement un pauvre taré qui ne supporte pas de voir les gens s’amuser ?!
Le sentiment de malaise disparu, nous sommes rentrés chacun chez soi ; j’ai gardé le CD l’air de rien.
Je continue mon petit bonhomme de chemin à travers l’absurdité de la vie.
Les années passent, et j’entends de plus en plus de gens se plaindre d’un petit bonhomme au regard sombre et malicieux qui plante les soirées avec sa musique d’un autre monde. Le pauvre fou sème ses CD à travers la région, tel un Don Quichotte qui lutte contre l’abrutissement des masses.
Note de l’auteur : histoire tirée de faits réels. J’espère qu’il se reconnaîtra, le « casse-couilles ».
V !
J’ai trouvé ! c’est Assurancetourix !! Qu’on l’attache au grand chêne, à la sortie du village, et nous pourrons festoyer tranquillement ….