Bienvenue au centre commercial !

Texte : Jo Kawak
Illustration : Cortez

Bienvenue dans un monde d’excès conçu pour que vous en fassiez aussi !

Regardez ces beaux et grands parkings couverts, qui vous permettront de vous garer quoi qu’il arrive… Laissez tomber les centre villes et venez dans un endroit où le stationnement est gratuit et facile ! Le commerce de proximité attendra : les bourgs n’ont qu’à couvrir leurs rues piétonnes !

On a laissé quelques plans d’eau avec des panneaux expliquant l’importance de préserver un peu de nature. Entre votre voiture et le centre commercial, une balade au beau milieu des tropiques ! Pas mal, hein ? Ca nous a coûté les yeux de la tête pour qu’ils acceptent d’écrabouiller par des hectares de goudron ces putains de petites plantes aux noms imprononçables et les deux crapauds qui se battent en duel, soi-disant « protégés » parce qu’un hipster fumeur de ouinjes l’a décrété. Heureusement, la biodiversité peut se massacrer à coups de biftons.

Entrez, les portes vous sont grandes ouvertes jour et nuit ! L’extinction des feux sera pour plus tard, il faut que Monsieur et Madame Bidochon se délassent de leur grosse journée de travail. En achetant des vêtements chinois, le dernier Iphone à seulement un smic et du mobilier en plastoque fabriqué par un gamin de neuf ans pour se payer trois grains de riz, ils devraient se sentir mieux et retourner demain dans leur boulot de merde le sourire aux lèvres pour rembourser les quarante ans de crédit sur la baraque en zone inondable.

N’ayez pas le cerveau trop fragile : ici, les ondes sont les bienvenues aussi ! On se sert de l’émetteur de votre téléphone portable pour suivre vos déplacements dans le centre commercial. Cela nous permettra d’évaluer votre comportement pour « améliorer le cadre de vie » dans nos espaces…c’est à dire pour faire un labyrinthe à neuneu et vous saigner le plus possible ! N’est-ce pas formidable ?

Nous n’avons qu’un conseil : pro-fi-tez ! Vous avez tout dans un seul endroit ! Engraissez-vous comme des porcs dans nos fast-foods, signez des contrats d’assurance-vie chez nos requins affamés, achetez « à partir de » et laissez nos vendeurs ajouter des options auxquelles vous n’avez pas pensé, buvez un café équitable suffisamment cher pour que nous nous sentions quittes, et assassinez les artistes en investissant dans de l’art décoratif importé à 4,99 € et des romans commerciaux « coup de cœur » signés BHL.

Ici, pas de SDF, pas de commerçant indépendant, pas de pervenche près de vos essuie-glaces. Tous ces babas cools ont été priés par nos gorilles de quitter le périmètre, une main dans le dos et les dents du fond baignées dans le sang. On fera paraître une pub dans le journal local pour se sentir investis d’une mission territoriale. On rassurera ainsi l’autochtone qui verra notre attachement provincial.

Les immigrés ne sont pas les bienvenus sauf s’ils sont Suédois avec de gros moyens de financement. Notre investissement résoudrait la famine en Afrique, mais pour votre confort et nos parachutes dorés, il n’y a aucune limite. Alors, on fait quoi dimanche ? On va au centre commercial !

Jo Kawak