E pericoloso écolo gît

e Pericolo_Jacq

E pericoloso écolo gît

Texte : Gabi
Illustration : Jaq

J’avais 10 ans et demi et je venais de participer à une grande et belle bataille contre un projet de centrale nucléaire à la pointe de la Bretagne. Je ne sais pas à combien de manifs je suis allée avec ma mère, de Plogoff à Quimper, ni combien de gaz lacrymogène j’ai respiré, encore moins combien de tranches de citron j’ai mordillées, en guise d’antidote. Je ne sais pas à quel bon Samaritain je dois d’avoir échappé in extremis aux matraques de deux CRS qui nous poursuivirent un jour, moi et ma mère, une fillette et une femme, jusque dans une impasse de Pont-Croix. Par miracle, quelqu’un nous ouvrit son garage et nous attira à l’intérieur avant de refermer la porte au nez de ces salauds dopés aux amphétamines que l’on entendit alors littéralement écumer de rage. Je ne sais pas non plus à combien de fêtes woodstockiennes j’ai assisté, en marge de ces temps d’intifada. Mais je me souviens précisément de la « Fête des énergies douces », le soir de la St-Jean, à Saint-Jean-Trolimon.

C’était en fin d’après-midi, la lumière était magnifique, l’été promettait d’être beau. Il y avait bien sûr une buvette, un méchoui en préparation et une exposition de solutions alternatives de production d’énergie, dont une petite éolienne domestique qui parvenait à faire briller quelques ampoules. L’endroit, un grand terrain plat, était propice à s’éclater entre gamins et nous nous sommes naturellement regroupés pour jouer à des jeux de notre âge. Celui du « marchand de peinture » était très à la mode à ce moment-là. Un des enfants jouait le rôle du marchand, un autre celui du client, et tous les autres étaient des pots de peinture de couleurs différentes. Lorsque le client demandait au marchand un pot d’une certaine couleur, celui qui était le pot en question devait se mettre à courir, en suivant un parcours défini à l’avance, et le client devait essayer de l’attraper avant qu’il ne soit revenu au magasin. Nous avions décidé qu’il fallait aller jusqu’à une camionnette garée à quelques dizaines de mètres de là où nous nous trouvions, puis faire demi-tour en passant par-derrière. On allait bien s’amuser, les rôles étaient distribués et nous étions très concentrés car c’est un jeu qui demande beaucoup de réflexes…

Le client entre donc dans le magasin : « Ding dong ! » (il devait imiter la sonnette d’entrée). Le marchand lui demande ce qu’il veut et le client annonce « Je voudrais de la peinture … verte ! ». C’est moi !!! Pas une seconde à perdre, je m’élance à toutes jambes, bien décidée à ne pas me laisser prendre (grâce aux CRS, j’ai de l’entraînement). Quelques mètres avant d’atteindre la camionnette, je jette un coup d’œil en arrière afin de voir où en est mon poursuivant : j’ai l’impression qu’il se rapproche. J’accélère et amorce un virage bien serré derrière le véhicule, et … BOoOiiING ! Un bruit de grosse cloche retentit dans ma tête, en même temps que je bascule en arrière, et je me retrouve par terre, sur le dos, les bras en croix, la tête entourée de chandelles et de petits oiseaux gazouillants, KO comme dans une bande dessinée. J’aperçois mon nez qui gonfle à vue d’œil, me faisant immédiatement penser à Pif le chien. J’entends les autres enfants appeler à l’aide, ma mère et d’autres adultes arrivent. Je ne ressens toujours aucune douleur et pourtant ils ont tous l’air catastrophé : je viens de prendre en pleine poire les pales d’une deuxième éolienne restée démontée et qui dépassaient du hayon de la camionnette … Mon nez est cassé, je vais passer cette belle soirée aux urgences de Pont-l’Abbé. J’ai 10 ans et demi et je viens de décrocher le titre de « Première victime des énergies douces ».

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