La complainte du patron

Tétélé et Tipula septembreLa complainte du patron

Texte : Bébert
Illustration : Cortez

C’est la rentrée, je vais retrouver mes employés de retour de leurs congés que J’AI payés. Moi, je bosse, j’ai des responsabilités, je n’ai pas le temps d’aller décompresser en camping-car à Berck-Plage, à m’empiffrer de moules-frites arrosées au pastis.

Et vous allez voir qu’ils vont faire la gueule de retrouver leurs postes, ces veules. Combien d’entre eux viendront me remercier d’avoir veillé durant leurs congés à préserver leur gagne-pain, ce travail qui les nourrit, les abrite, les protège, leur évite de finir sur le trottoir à ramper comme des SDF, comme des gastéropodes aux coquilles de carton ?

Très peu, bien sûr, juste quelques fidèles, ceux qui ont su reconnaître en moi l’aura de l’entrepreneur et du visionnaire, ceux qui ont compris que pour survivre dans cette compétitivité exacerbée il fallait me suivre, être mien de corps et d’esprit.

Les autres, bande de fainéants, 35 heures ils veulent, et pourquoi par 32 ! La honte pour leurs ancêtres qui travaillaient 80 heures par semaine, jusqu’à ce que mort s’ensuive, à la grandeur de nos multinationales et de leurs croissances actionnariales.
Ils ont même sacrifié leurs enfants, qui de leurs mains innocentes ont extrait le charbon alimentant le feu de la révolution industrielle et les foyers de nos grandes dynasties industrielles, comme la famille Wendel. Aux heures sombres de la grande guerre, sans la sueur de ces enfants, aujourd’hui vous parleriez allemand !

En plus, sur leurs 35 heures, ils voudraient du temps pour aller pisser ! Et que je leur achète leur PQ aussi ?! Un Bangladais peut travailler 12 heures d’affilée sans aller uriner, comment voulez-vous que nous soyons compétitifs si les Français ne sont pas capables de se retenir, c’est la décadence de la France incontinente !

Le droit du travail, la protection sociale, la retraite, j’en passe et des meilleures, c’est has been, c’est conservateur, c’est figeant, c’est français. Il faut se libérer de ces chaînes qui entravent notre liberté d’entreprendre. L’heure est au patriotisme dans cette guerre économique, sachez vous alléger de tous ces acquis pour que la France regagne des parts de marché !

De toute façon, en cette rentrée, ils auront des raisons de faire la gueule, ça va pulser dans la mobilité. Je délocalise en Roumanie. Ils ont déjà dû ouvrir le mail d’information où je leur annonce ma décision. J’ai respecté les conventions, un reclassement leur est proposé pour aller travailler dans ma nouvelle entité.

C’est un ancien pays communiste, ça devrait leur plaire.

Bébert

1 comments on “La complainte du patron
  1. Gabi dit :

    Et en plus il y en a qui réclament une salle de sieste … tous des enfoirés ces salariés !!

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