Le paysan de la ville
Texte : V!
Illustration : 537718
Dans notre village à nous, un beau jour, a débarqué un « adolescent attardé » : un type avec des cheveux longs et gras, portant un maillot sale et troué en dehors du pantalon, et ayant la trentaine révolue.
Dès les premières semaines, il s’est fait remarquer, il souriait tout le temps et disait bonjour à tout le monde.
Aujourd’hui, nous savons que c’est un gros malin !
Je ne suis pas venu vivre à la campagne, je suis venu vivre comme à la campagne. J’ai un poulailler et je fais mon potager « bio ».
Les administré(e)s de la commune ont approuvé…au début. Sauf que je ne retourne pas la terre, j’utilise une grelinette pour le maintien de l’équilibre des organismes vivants dans les différentes couches du sol. Les habitant(e)s des trois rues et demie qui composent le village se sont méfiés et je suis devenu suspect. Je me suis senti observé en permanence, de derrière les rideaux, des meules de foin, du mur du cimetière…Je n’utilise aucun engrais ou pesticide industriel. Je fabrique du purin d’ortie et j’enlève les doryphores de mes plants de pommes de terre à la main…Mes excès de jardinage naturel les ont sérieusement agacés.
Mes convictions mises en pratique m’ont valu le sobriquet d’homme de Cro-Magnon.
A la fontaine du village, on y rencontre des petits moineaux, des papillons et des « yenaraslebol » avec qui j’ai eu la mauvaise idée de parler politique.
Nous étions d’accord sur le fait que les représentant(e)s de l’Etat, soumis(es) au dictat des puissances financières, se soucient autant de nous que de la couleur du cheval blanc d’Henri IV. Le plus philosophe des réactionnaires nous déclare fièrement : « Voter, autant pisser dans un stradivarius ». Jusque-là, pas de problème, sauf que j’ai renchéri en annonçant que ça fait belle lurette que je me suis torché le « fion » avec ma carte électorale avant de la balancer au feu. Je m’attendais à être applaudi. Je me suis trompé.
Mes excès d’électeur déçu les ont rendus fous furieux : « …le devoir citoyen patati patata…mort pour le droit de vote…révolution française patati patata… ». En espérant sauver la situation, je leur parle de grèves et de manifestations auxquelles j’ai participé pour exprimer mon mécontentement, les preuves de mon implication dans la vie sociale et politique.
Ca a été le bout du bout. Mes excès de rébellion les ont fâchés sévère.
Mes convictions mises en pratique m’ont valu le deuxième surnom d’anti-français.
L’« adolescent attardé » a des idéaux. Il fait ce qu’il faut pour se faire remarquer. Nous aussi on aimerait que le monde soit différent, mais nous restons dans la normalité. C’est ça l’humilité !
La perception de l’excès est toute relative. Plus tu perçois d’excessifs autour de toi et plus tu es mou du genou.
V !
Quand j’étais petite, j’habitais un petit village de pêcheurs-chasseurs. Nous avions une grande maison et ma mère, pour surmonter son veuvage précoce, avait décidé d’y créer une communauté de babas cool (si si !!). On nous traita alors de « termajis », terme péjoratif venant de “lanterne magique” et qui désignait à l’origine les bohémiens.
Puis ma mère a viré les babas cool et s’est mise à faire la bringue avec une bande de pêcheurs, vieux célibataires ou divorcés en raison de leur tendance à traîner au bistrot ; après la fermeture, tout ce beau monde finissait à la maison, la seule qui savait ouvrir ses portes dans le village s’était la nôtre … A cette période-là, ma mère se fit traiter de « putain » (classique !).
Puis, comme ses bringues plurihebdomadaires ne suffisaient pas à dépenser son trop plein d’énergie, elle s’est mise à militer contre les marées noires et le nucléaire, à Portsall, à Plogoff, à La Hague, dans le Larzac, … etc. Et l’insulte suprême est tombée comme un couperet : « écolo » !
Nous ne faisions pourtant de tort à personne, mais les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux, et vont très vite à vous désigner comme celui par qui le scandale arrive … Résultat d’une existence excessivement ennuyeuse ?