Texte de Bébert – Dessin de Sophie.
Cette année, je suis allé à Courchevel pour les sports d’hiver, du standing pour VIP.
Là, on est sûrs de ne pas rencontrer une horde de banlieusards basanés, éructant leurs onomatopées pubertaires.
Attention, je ne suis pas raciste hein, mais franchement, si Dieu a fait la neige blanche, ce n’est pas pour rien, non ?
Le séjour était tous frais payés par la boite, en récompense de la réussite de notre business plan «DANSLECUL» (Délocalisation Actionnariale Nationale Sans Limite En Contrées Ultra-Libérales).
Toute la task force du projet était là, pas un salaire en-dessous de 100 k€, hors primes bien sûr. Bref, l’élite française, celle qui fait lever tôt le prolétaire pour que l’actionnaire se couche tard.
Cela a commencé fort dès le premier jour. C’est le responsable du service qui avait lancé le challenge.
Il nous a dit : «Ecoutez, les gars, toute l’année on contourne les lois pour faire de l’optimisation fiscale, c’est quand même pas en vacances que l’on va suivre des pistes toutes tracées ! ». C’est comme ça qu’on a décidé de se faire une journée hors-piste.
Un soleil magnifique illuminait notre groupe ondoyant sur un manteau à la blancheur virginale. Seuls sur les sommets, nous dominions le monde de notre suffisance, drapés dans nos combinaisons Yves St Laurent.
Nous longions une arête surplombant une large pente, déroulant son tapis enneigé jusqu’au fond de la vallée, quand tout à coup, assourdi par un gros crac, je me retournai et vis ce gros balourd de Charles-Edouard décrocher une énorme plaque de neige qui commença à dévaler la pente.
Nous étions tous abasourdis face au spectacle tonitruant de cette plaque se transformant en une incommensurable avalanche, avalant les sapins comme une 12.7 mitraillant du poilu en 17.
C’est alors que nous aperçûmes en contrebas un groupe de skieurs qui auraient mieux fait de prendre des surfs que des skis ce jour-là, pour échapper à la vague qui déferlait sur eux.
Après la tempête, un calme sépulcral retomba sur la montagne. Les cons, ils n’avaient pas vu les pancartes ou quoi ? Zone à risque, indice de risque 5, le maximum! Même qu’on avait plaisanté quand on a vu les drapeaux noirs, en se disant que Daech avait progressé bien vite depuis la Syrie.
De toute façon, il n’y avait plus grand-chose à faire, nous décidâmes de rejoindre discrètement les pistes et de nous noyer dans la masse. On ne sait jamais, il devait bien y avoir dans les familles de ces skieurs quelques opportunistes qui, attirés par notre aisance, auraient pu nous porter quelque procès, ou ne serait-ce que salir notre image publique.
Plus tard, de retour à l’hôtel, nous apprîmes qu’il s’agissait d’un groupe d’enfants en vacances de neige avec leurs instituteurs, une classe découverte recouverte en quelque sorte. Ce n’est pas étonnant que les gosses ne sachent pas écrire si les profs ne savent pas lire.
Le soir, au bar, Charles-Edouard commença à déconner, il avait des scrupules. « J’ai tué des enfants», rabâchait-il. Pas étonnant venant de ce cul béni. Déjà au bureau, à chaque coup qu’il faisait la culbute sur un prêt hypothécaire, il ne pouvait s’empêcher de réciter un « Je vous salue Marie » en pensant aux familles qu’il avait mises à la rue. Le maillon faible du groupe, une lopette, il n’était pas fait pour le business.
Nous décidâmes de diluer sa morale à la vodka, nous en appelions aux lois des probabilités, qu’on avait eu de la chance, que cela aurait pu être nous si nous avions été en contrebas, qu’on avait évité à ces gosses un avenir de chômeurs, qu’on pouvait anonymement faire un don à l’école, voire payer nos impôts en France pour que les instituteurs aient de meilleures formations.
Rien n’y fit, il se mit même à chialer, en nous disant qu’on le dégoûtait, qu’on n’avait pas de cœur. Il était pathétique, une vraie gonzesse. Il nous dit qu’il avait besoin de prendre l’air, et il se cassa avec la bouteille de vodka.
Nous eûmes de ses nouvelles le lendemain, il s’était endormi devant une déneigeuse. C’est dingue la puissance des fraises de ces engins, il y en avait partout sur la piste du Charles-Edouard. C’est con, pour une fois qu’il nous montrait ses tripes, c’était la dernière. Comme quoi la nature est bien faite, seuls les plus forts survivent. Echappé de l’avalanche, débarrassé des branches mortes, notre groupe en fut renforcé et c’est dans un sentiment de toute-puissance que nous terminâmes notre séjour.
La sélection naturelle si chère à Darwin était passée par là, ne laissant derrière elle que la quintessence de l’évolution, nous !