Nuit re-belle
Texte : V!
Photomontages : Jacquou
A moitié endormi ou à demi réveillé, je profite que la voiture connaît le chemin pour laisser divaguer mon esprit : « Putain ! Qu’est-ce qu’il y a eu comme morts cette année ! Bowie, Prince, Siné, la démocratie… »
Je me donne du courage en me disant que c’est la dernière de la semaine. Le travail de nuit, c’est une vraie galère, pas humain et pourtant…c’est là que l’on retrouve un peu d’humanité.
Aucun chefaillon, pas de chien de garde, moins de surveillance, donc plus de confort à l’ouvrage. On est libre de blaguer, de se moquer de nos supérieurs, on parle même de grève des fois ! On se console en louant notre force et notre courage, les gens des bureaux sont trop délicats, ils ne supporteraient pas nos conditions de travail.
La nuit crée un climat intime où l’on panse ses plaies.
La voiture poursuit son chemin, m’emmenant au chagrin. Ma stupéfaction est totale quand les phares de mon « chariot » arrivent à la hauteur d’une silhouette que je connais très bien. : c’est notre jeune nouveau chef, tout frais sorti de l’école, un manager, comme ils disent. Le drôle est accoutré de la panoplie complète du petit punk : docs, piercing, crête…il zone avec des potes, ils partent en teuf, bibine en main.
Je l’ai reconnu, même sans sa cravate. Il a abandonné sa laisse pour la nuit, le « chienchien » du patron. Il se nourrit de salade la journée, pour garder un profil dynamique, et il fume de l’herbe, caché dans les ténèbres. Briseur de grève le jour, copain comme cochon en nocturne avec les prolos qu’il torture. Il accompagne le système répressif sous les rayons du soleil, et sous l’éclairage de la lune, il joue l’anticonformiste. Je ne comprends pas ! Il est probablement prisonnier de son mode de vie, il s’est créé trop de besoins pour avoir des scrupules.
Les esclaves se libèreraient-ils la nuit ?
Peut-être faisons-nous toutes et tous le même rêve. Le jour, le peuple est amorphe, et la nuit il cogite. Penser, c’est déjà désobéir ! L’ordre établi n’aime pas les cerveaux en ébullition.
Les « nuits debout » arrêteront-ils de ramper la journée ?
Arrivé au vestiaire de l’usine, je lève le poing et j’annonce bien haut, sous l’œil ébahi de mes collègues : « Après la nuit viendra le grand soir ! »
V !