Une si longue histoire

Une si longue histoire

Texte : M. Tran
Illustration : Val

J’ai cent ans, je suis Russe et je m’appelle Olga,
Je suis née près du poêle, au milieu d’une isba.
J’ai grandi dans le froid, la misère et la faim,
Avec le communisme pour seul pain quotidien.

Je ne connaissais rien du monde ni de la vie,
Jusqu’au jour où ils ont arrêté ma famille
Pour de simples broutilles, trahie par ses voisins.
J’ai réussi à fuir, je suis partie très loin.

J’ai franchi les montagnes, les forêts et les plaines,
Avec pour seule compagne mon indicible peine,
Errant au fil de l’eau, par-delà les rivières,
Affrontant les étés, les crues et les hivers.

Mais par chance, un beau jour, j’ai rencontré Ivan,
L’homme qui m’a redonné l’amour de mes vingt ans.
Nous nous sommes débrouillés pour aller à la ville,
Espérant que la vie y serait plus facile.

Le kremlin, la place rouge, le métro moscovite,
Son marbre somptueux, ses jolies céramiques,
Faisaient briller nos yeux et réchauffaient nos coeurs,
Nous laissant à penser : c’est donc ça, le bonheur.

Mais la réalité a vite repris ses droits,
Les purges et la terreur étaient raisons d’état.
La parole est de plomb et le silence est d’or,
Quand la vie est dictée par la peur de la mort.

Pourtant, nous n’avions pas encore connu le pire,
Ni les millions de morts de la guerre à venir.
Ivan partit la faire par un beau soir d’été,
Il m’a dit à bientôt, mais ne revint jamais.

Quand après des années de souffrance, de famine,
Vint enfin la victoire, ce fut celle de Staline,
Monstre paranoïaque toujours plus adulé,
Nous offrant pour seul culte sa personnalité.

A la mort du tyran, je parvins à pleurer,
Juste pour donner le change et pour ne pas changer,
Mais j’étais soulagée, j’ai pu rentrer chez moi,
Retrouver ma campagne et mes rêves d’autrefois.

Les années ont passé, je suis devenue vieille,
Le temps s’est écoulé, toujours un peu pareil,
Avec ses faux espoirs, ses avancées fragiles,
Dans cette immensité hostile et immobile.

Aujourd’hui, je suis libre, j’attends la délivrance,
La fin de la misère d’un siècle d’existence,
En rêvant de datchas, de luxe et de caviar,
Quand je m’endors le soir devant mon samovar.

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