En manque d’atouts

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En manque d’atouts

Texte : Jo Kawak
Illustration : Tek

Première nuit : flexibilité.
Un papier griffonné d’un merci ou une réappropriation rapide de mes fringues fera l’affaire. J’ai promis mille et une nuits d’amour, elle m’a arraché mon costume de romantique. Un vol à l’étalage de ces bouts de tissu gisant à terre, et je fuirai comme un lâche. J’ai voulu voir ce corps qui semblait bien dessiné, et c’est vrai qu’elle est roulée. J’ai parlé flexibilité, vendu ma souplesse comme un chef de service ment son écoute et sa disponibilité au petit personnel. J’ai essayé d’être fluide, assuré, endurant. J’ai lâché mon excitation dans les cinq minutes après être entré dans le bonheur. Un mauvais coup, elle se dira. Un enfoiré, elle constatera.

Centième nuit : compétitivité.
J’ai pas su fuir, j’ai pas su mentir. « Ok on essaye », j’ai dit. Et voilà cent nuits de stress. Mes putains d’artères se sont laissées surprendre. Je voulais l’essayer, comme un salaud qui n’a pas peur de faire du mal. Je me suis laissé envoûter. Elle ne me déteste pas, je ne veux plus la perdre. C’est une rivalité au quotidien. La compétitivité de mon être est mise à rude épreuve face à ces gros queutards qui lui promettent mille et une nuits d’amour. J’ai confiance en elle, mais j’ai peur qu’ils soient comme moi. Tous ces enfoirés qui courent les bistrots, les boîtes, les rues, les centres commerciaux, les concerts. Je vais les empaler avec mes chicots pourris du vieux gars jaloux. Les pires, ce sont les collègues de travail. Sous prétexte du professionnel, ils boivent des verres, ils font des repas d’entreprise. Pourquoi pas partir à la plage et dans des clubs échangistes, tant qu’on y est ! Les cœurs les plus indisponibles sont braqués de l’intérieur par la sauvagerie de leurs propres êtres. Le travail est un lieu de débauche. Je déteste les collègues, je déteste les relations professionnelles, je me déteste comme à la première nuit. J’ai peur.

Mille et unième nuit : rentabilité.
Moins de routine que de surprises. Plus de fleurs que de coups de colère. Davantage de mots doux que d’allusions perverses. Il faut tenir la cadence, être un homme honnête. Le costume de romantique ne suffit plus : elle a saisi l’accoutrement mensonger du début. Nuit après nuit, elle m’a découvert sous mon vrai jour. Je ne peux plus faire semblant. J’ai adoré sa personnalité attachante, j’ai essayé d’être un type bien, mais on ne change pas un fantaisiste en diamant. Je ne suis pas rentable à plus d’une nuit. Je suis un compagnon invendable, un cœur à prendre que personne ne veut saisir. J’ai du mal à passer la période d’essai. J’irai pointer ma solitude avec tous ceux qui disent « je ne veux rien de sérieux », juste parce qu’ils en sont incapables. Les idiots dans mon genre, c’est fait pour récupérer ses habits au petit matin, sur la pointe des pieds, et se barrer comme des enfoirés.

1 comments on “En manque d’atouts
  1. Lyne Fontana dit :

    Bien inspiré Jo, par le dessin de Tek… C’est dur d’être un homme, apparemment…

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