Le petit Nicolas

dessin de Cortez

Le petit Nicolas souffrait de troubles de la personnalité narcissique, il avait un besoin incommensurable d’être adulé et était exempt de toute empathie pour autrui.

Pourtant, rien ne le prédisposait à symboliser la quintessence de l’évolution des hominidés aux yeux de ses contemporains, ni sur le plan physique, ni sur le plan intellectuel.

Il était si petit que, quand il marchait, il fallait qu’il fasse attention à ne pas mettre son nez dans une crotte de chien.

Il était bourré de tics. Ses épaules étaient agitées de mouvements convulsifs, au point que sa mère était obligée de nettoyer les WC au jet après son passage.

Son visage s’apparentait plus à la tête à claques qu’à Clark Gable, une tête de cocker à la Roger Gicquel avec un petit air de Jacquouille la fripouille.

Et pourtant, c’était le plus grand des kékés de son école à Neuneu-sur-Seine.

Elève médiocre, il partait du principe que l’histoire des colonies ne méritait pas son intérêt, car l’homme africain n’était pas rentré dans l’Histoire, ou qu’il y avait mieux à faire que d’étudier la princesse de Clèves, qu’il préférait lire Vélo-Magazine.

Le vélo, c’était sa passion. Il s’enorgueillissait d’avoir le plus beau vélo du collège, il disait qu’à 14 ans, si on n’avait pas un vélo à 20 vitesses, c’est qu’on avait raté sa vie.

Rester assis sans bouger à écouter tous les gens pesants étaler leur science, ce n’était pas son truc, lui, ce qu’il voulait, c’était gagner des billes et être le chef.

Tous les matins, devant sa glace, quand il perçait ses points noirs, il se voyait délégué de classe.

Il avait commencé sa carrière en sixième, il avait été désigné ministre de la cour intérieure par le grand Jacques, un péquenaud corrézien qui était monté à la ville.

Il régnait sur toutes les parties de billes à la récré, verbalisant ceux qui trichaient. Il voulait nettoyer la cour de la racaille, une bande de pauvres qui venaient embêter les autres en leur expliquant que c’était has been de jouer aux billes, qu’ils feraient mieux de venir avec eux faire des tournantes et fumer du shit dans les toilettes du préau.

En cinquième, ce fut la consécration, il fut élu. Son slogan de campagne c’était : « jouer plus pour gagner plus ». Mais les enfants se rendirent compte que le nombre de billes n’était pas infini et que, de toute façon, c’était toujours les mêmes qui gagnaient.

En quatrième, il fut battu par un petit gros, Haribo il l’appelait, un mec qui voulait soit disant partager les billes, mais qui ne pensait qu’à draguer les filles avec son scooter.

Pourtant, il avait foutu le paquet pour se faire réélire, quitte à piquer dans le stock de billes de sa bande pour frimer dans la cour. On s’en était aperçu, mais il avait chargé ses potes en arguant qu’il avait autre chose à faire que de compter les billes qu’on lui mettait dans les poches.

En classe de troisième, ce n’était pas la même, il avait beau être amoureux de son propre reflet et se pavaner devant sa glace, l’aura qui le faisait rayonner aux yeux des autres s’était estompée. Dans la pénombre de son aura crépusculaire, on ne voyait plus que l’image d’un petit con prétentieux prêt à tout pour asseoir son pouvoir.

Finalement, ce fut une fille qui l’emporta, une grosse blonde hargneuse, la pig-power on l’appelait. Son programme était de virer toutes les billes de couleur et de ne garder que les billes en terre française. Mais celle-ci fut magnanime et, en remerciement au petit Nicolas, qui avait bien préparé le terrain de son élection, elle le nomma ministre du garage à vélos.

Au milieu de ses vélocipèdes, il impressionnait encore par le récit de sa gloire passée quelques élèves de sixième. Mais, pour la plupart des enfants, il était devenu un de ces individus que l’on écoute avec un sourire forcé, un de ceux qui vous vrillent les oreilles de « moi je sais, moi je sais, moi je… » et à qui on a juste envie de répondre : « ta gueule !!! ».

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