Misanthropie
Texte : M.Tran
Illustration : DjDj
Les gens, ce sont les vivants et les morts, ceux qu’on ne connaît pas et ceux qu’on croit connaître, à commencer par soi-même.
Moi, j’aime bien les gens, mais pas en foule. En fait, il n’y en a pas foule que j’aime vraiment.
Il y a les gens bons, les gentils, les gens de différentes couleurs qui devraient égayer notre monde gris, au lieu d’aiguiser nos rancoeurs.
Mais, la plupart du temps, les gens n’ont plus … le temps, ils courent après l’argent, règlent leurs différends plutôt que de chercher à comprendre ceux qui sont différents.
Ils veulent jouer dans la cour des grands, mais ça ressemble plus à une cour de récré où, pour légitimer leur connerie, ils la pratiquent à plusieurs.
Leur vie, ce n’est pas de la science-fiction, comme sur leurs écrans à la con, c’est de la crucifixion. Car si elle n’attend pas, elle les attend au coin du bois, vers la compression de personnel au boulot et dans le métro.
L’enfant, libre et artiste, sommeille en chacun d’entre nous dans la nuit des rêves inassouvis, richesses étouffées par le temps et la nécessité, pratiquées en catimini et taxées de futilité.
Fut-il sot d’oublier le F de féerie, fantaisie, faribole, du futile pour se rendre utile et moutonner de force et sans force dans la sécurité factice d’une mort lente annoncée, miné par la morosité, vomissant la bile de sa condition restrictive, étriquée et triquée, sans un poil qui dépasse, soumis et sous missions.
Même les jeunes, on veut les faire devenir tellement raisonnables, qu’ils penseront bientôt tous comme des vieux cons.
Ou bien on les écartera et on les parquera, comme les rebeus, qui ont tout juste droit de cité, rebelles en toc qui t’attendent au coin d’un bloc, en Nike et nique ta mère en short.
Bel exemple de liberté bien fagotée, ligotée, liberté alibi jusqu’à la lie. Vous pouvez sonner l’hallali !
Entre rencontres programmées et attentats meurtriers, chez le nouvel humain, c’est Meetic mi-raisin.
En fait, quand on est jeune, on s’agite. Avec le temps, on s’assagit. De quoi s’agit-il ?
Du temps qui passe, de notre carcasse qui nous tracasse, de souvenirs de jeunesse que l’on ressasse, jusqu’à ce que le corps trépasse, du plomb dans l’aile qu’on n’avait pas dans la cervelle.
Des gens brillants qui nous aveuglent, peut-être parce qu’ils sont trop voyants, ces grands qui pensent et qui dépensent, alimentent leur grosse panse et agissent comme des pansements sur une jambe de bois.
Des riches qui ont les moyens et qui les utilisent tous.
Je trouve ça moyen, ça manque de classe, comme la classe moyenne, ou plutôt inférieure, mon cher !
Au classement de la compét’, c’est en-dessous de la moyenne, c’est pauvre et ça le devient de plus en plus, plus, plus, plus, …
Ils toisent le monde, confortablement installés dans leur banquette de lit mou, et discutent autour d’un grand cru de la condition des pauvres qui doivent trinquer.
De quoi se plaignent-ils, ces cons aux réflexes de consommateurs de basse vinasse, de variétés avariées, de crédits et de Prozac pour les faire avaler, à rêver de vies excitantes comme au cinéma pour finir dans la gerbe de leur jaja , plongés dans le monticule de leurs emmerdes.
Ah ! Qu’ils sont ébahis, du bas de leur misère, émus par les grands mots de tous ces beaux parleurs, que leur esprit inculte ne saurait contredire. De toute façon, ce serait sacrilège, ça bousculerait l’ordre établi.
Non, plutôt taper sur les gens de sa condition ou, mieux encore, de faible condition, c’est plus facile et ça soulage.
M. Tran
PS Spéciale dédicace à un prince de la cuite sous musique éclectique, fan de Marijane, qui nous a branchés sur Corman, Ludwig et toute la clique.
Lui, ce n’est pas « les gens », c’est quelqu’un (de bien) !
Ce texte est comme une valse. Quelle verve virtuose !
Les gens que l’on aime, ceux qui pour nous ne sont pas des gens mais quelqu’un, sont les branches de nos arbres de vie. Je viens de perdre un être cher, un de plus, mais comme pour tout membre amputé je ressens toujours l’existence de la branche qui lui correspondait.