Sous réserve de voir les conditions à partir de.
Texte : Jo Kawak
Illustration : Cortez
« It’s a fucking job! » pense Jimmy.
Jimmy est publicitaire. Sale boulot. Trouver les bons mots pour interpeller les gens. Créer un capital sympathie ou diabolique, peu importe, pourvu que ça marque les esprits. Dans sa tête, il ne pense qu’à deux choses : le buzz et le taux de transformation. Quoi qu’il arrive, il cherche à avoir l’adhésion des gens. Une sorte de vitrine superficielle qui est constamment « en cours de réalisation ». Pour qui ? Pour ses clients. Et c’est bien ça le problème : il déteste ces cons pour qui il travaille.
« Repeat after me : make » dit Jimmy à son client.
»M…milk! » lance son benêt du jour.
Il a l’impression de lustrer la rouille et de chercher à rendre des idiots intelligents. Son travail consiste à fréquenter des fachos et à les vendre aux immigrés, à faire briller l’inutile afin que les pauvres soient prêts à se saigner pour l’acheter.
Aujourd’hui, son client est une nouvelle fois un abruti. Il va falloir le vendre au grand public, et faire croire que c’est une décision réfléchie et intelligente que de le choisir.
« No, it’s : MA-KE » relance Jimmy.
»MA-DE » baragouine le crétin.
À mi-chemin entre l’Orang-outan de Bornéo et un amas d’argile graisseux, le physique du client est des plus répugnants. Mais il y a pire : son incapacité à prononcer des mots et la fétide odeur qui fume de ses faibles idées d’écervelé. Pourtant, il s’apprête à monter sur la scène. Il n’a pas grand-chose à dire, car fort heureusement, son public est plutôt du genre à regarder « Les anges de la téléréalité » que « Questions pour un champion ». Une seule phrase, un seul slogan vieux comme le monde, et ça ira pour aujourd’hui. N’en demeure pas moins que le singe a quatre mots à sortir correctement. Mission impossible.
« Try with this one : great ! » tente Jimmy.
»Gr…gr…gr…grey! » hoquette son bébé de 70 balais.
Jimmy croise les bras. Sale boulot, mais il est très grassement payé pour ça, il veut donc trouver une solution. Jimmy doit faire monter le gros débile sur la scène, l’entendre prononcer sa putain de phrase et qu’il puisse rentrer chez lui avec une liasse de dollars en poche !
Soudain, une idée résonne. « Playback ! » dit-il à voix haute. L’idiot en face de lui se met à mimer un playback en serrant son poing pour faire office de micro. Jimmy interpelle son collègue : « Léo, il nous faut un playback : tu coupes le micro du neuneu et c’est moi qui vais parler à sa place ! ». Jimmy observe son client qui est toujours en train de mimer. « En plus, il fait très bien semblant » murmure-t-il.
« Let’s go ! » hurle Jimmy.
L’imbécile de client se dirige vers la scène. Face à lui, une foule d’écervelés hurle et l’acclame. En coulisses, Jimmy attrape un micro et attend que l’idiot bouge les lèvres pour parler à sa place. Sale boulot. Il observe ses collègues, ces dizaines de publicitaires, de spécialistes de la communication, de commerciaux affamés prêts à vendre de la merde aux gens en échange d’un paquet de pognon.
En parlant de merde, Jimmy voit son client s’approcher du micro éteint. Ça va être à lui. « Le pire, c’est qu’on serait capable de réussir à vendre ce dingue », pense-t-il en voyant le gros bouger les lèvres. Il approche les siennes du micro, et épelle lentement, comme un slogan lancé pour attiser les fous : « MAKE AMERICA GREAT AGAIN ! ».
Jo Kawak
Yes you can, Jimmy !!