Autant en disperse le vent
Texte : Gabi
Illustration : Oyana Mar
Ils s’étaient donné rendez-vous, le dimanche suivant la crémation, pour aller disperser les cendres du défunt en haut d’une colline qui dominait le quartier de son enfance et d’où il aimait tant admirer la vue sur la ville, les montagnes et la mer. Il ne manquait jamais le défilé qui y avait lieu chaque année, en commémoration d’une bataille dont les habitants de la ville furent victorieux. Bref, c’était sa colline et c’est tout naturellement à elle qu’ils se devaient de le confier pour l’éternité.
Lorsque tout le monde fut réuni sur le parking, un des oncles se chargea de porter l’urne puis le groupe se mit en marche vers le sommet, par un petit sentier. Le silence timide du départ fit place à toutes sortes de conversations sur les enfants, le travail, les projets, comme pour compenser le deuil par l’évocation de la vie. Les circonstances réunissaient à nouveau la famille, et cela apportait une chaleur bien venue.
Une fois parvenu à l’ermitage, tout le monde se rassembla en cercle, au milieu d’une petite prairie qui se trouvait un peu à l’écart. Le moment du dernier adieu était arrivé. Dans un silence solennel, le fils aîné prit l’urne, l’ouvrit puis la leva tout en la basculant un peu en avant. Chacun s’attendait à voir l’air alentour soudain rempli de paillettes qui se disperseraient en un mouvement léger, accompagnant l’âme du disparu dans son voyage vers le ciel. Mais, tout occupés à leurs bavardages pendant la promenade, ils n’avaient pas fait attention à un détail d’importance. Ce jour-là il n’y avait pas un souffle d’air, pas une seule feuille qui ne bouge dans les arbres. Le vent n’était pas au rendez-vous. Alors les cendres tombèrent lourdement à leurs pieds, sombres et froides comme le plomb, les ramenant brutalement à la dure réalité de la mort : triste, insoutenable, et dénuée de toute forme de poésie.